Dept 55 « Verdun bataille, muséum » 1h08′ du petitflo.
Contexte militaire au début de l’année 1916
Le jeu des alliances contractées par les différents États en Europe entre 1879 et 1912 a entraîné la division des puissances européennes en deux blocs à la veille de la guerre : l’Empire allemand, l’Empire austro-hongrois et l’Italie sont regroupés au sein de la Triple-Alliance ; la France, le Royaume-Uni et l’Empire russe forment, quant à eux, la Triple-Entente.
Néanmoins, à la suite de la signature du pacte de Londres, le 26 avril 1915, les Alliés parviennent à faire quitter la Triplice (contraction du terme « Triple Alliance ») à l’Italie.
Au déclenchement des hostilités, les puissances centrales se trouvent donc encerclées à l’ouest par les forces anglo-françaises et à l’est par les troupes russes. La stratégie adoptée par le haut-commandement allemand, afin de lui éviter de combattre sur deux fronts simultanément, préconise une offensive massive en France. L’objectif est de prendre Paris à l’intérieur d’un délai de sept semaines pour ensuite développer un effort complet contre les armées russes, plus longues à mobiliser. La première phase de l’offensive allemande, sous le commandement du général von Moltke, est une réussite totale : la poussée permet l’occupation de la quasi-totalité du territoire belge et d’une bonne partie du Nord-Est de la France. Ce n’est qu’à partir de la fin du premier mois des hostilités que l’avancée allemande commence à s’essouffler, alors que le 25 août 1914 Moltke retire le corps de réserve de la garde et le XIe corps d’armée du front occidental pour parer une offensive russe en Prusse-Orientale. Ce ralentissement de la progression allemande permet au haut-commandement français de se réorganiser et de placer la 6e armée, nouvellement créée, sur l’aile droite du front, aux environs de Paris. Le 4 septembre 1914, le généralissime Joseph Joffre, avisé que le flanc gauche de l’offensive allemande, en continuant sa route vers le sud, devient à découvert, saisit l’occasion et ordonne au général Joseph Gallieni, commandant de l’armée de Paris, d’attaquer. S’ensuit la bataille de la Marne, où les forces anglo-françaises repoussent les armées allemandes le long de l’Aisne. À la suite de la contre-attaque française, les deux belligérants tentent réciproquement de déborder le flanc de leur adversaire par le nord : c’est la course à la mer. Finalement, le front se stabilise sur une ligne faisant 750 km, de la mer du Nord à la Suisse, en passant par Nieuport, Compiègne, Reims, Verdun et la région de Nancy. Les armées s’enterrent. La guerre de mouvement est terminée. Un conflit que tous croyaient ne devoir durer que quelques semaines s’annonce plus long que prévu6.
Durant l’année 1915, le nouveau commandant en chef des forces allemandes, von Falkenhayn, souhaite concentrer son attention sur le front oriental. L’état-major allemand, après les difficiles batailles sur l’Yser et à Ypres à la fin de l’année 1914, prend conscience que toutes les percées sur le front occidental ne pourront avoir lieu, dans la guerre nouvelle, qu’au prix de pertes immenses. La décision est donc prise de profiter de la position du front, lequel est presque totalement en territoire ennemi, pour y conserver une position généralement défensive. Le haut-commandement peut ainsi tenir ce front avec des unités en moins, lesquelles seront redéployées à l’est en vue d’une importante offensive. Le plan de Falkenhayn mise sur la faible densité défensive du front russe et sur les problèmes logistiques de l’armée pour pousser le tsar Nicolas II à signer une paix séparée. En février 1915, une première offensive en Prusse-Orientale, menée par le maréchal von Hindenburg obtient des succès limités. Ce n’est qu’à partir du 2 mai qu’une nouvelle offensive, menée cette fois-ci par le maréchal von Mackensen, permet la poussée décisive : sur un front de 160 km, les troupes russes sont bousculées de toute part ; le 22 juin la Galicie est occupée. Le 13 juillet, la Grande Retraite se poursuit alors que le commandement allemand est réunifié sous les ordres de Falkenhayn. Quand l’offensive s’arrête le 19 septembre, les forces allemandes occupent Varsovie, Novogeorgievsk, Brest-Litovsk et Vilnius, mais elles n’ont jamais été capables d’encercler les troupes russes, qui se dérobaient toujours vers l’arrière.
Sur le front occidental, les forces anglo-françaises, malgré l’arrivée de nouvelles troupes, connaissent la défaite en Artois et en Champagne. Les tentatives de percée se terminent en combats locaux sans importance stratégique. Alors que ces offensives font entre 310 000 et 350 000 morts dans les rangs français7, elles n’arrivent pas à ralentir le déplacement des troupes allemandes vers l’est. La guerre sera non seulement longue mais aussi meurtrière8.
C’est au cours de l’hiver 1915–1916 que les états-majors adverses préparent leurs plans de campagne pour l’année à venir. Après plus d’une année complète d’expériences, les commandements commencent à ajuster leurs stratégies en fonction des conditions de la guerre de positions moderne : la stratégie qui sera adoptée chez tous les belligérants sera celle de la guerre d’usure. Dans les formes nouvelles du combat qui émergent, le rôle du soldat s’efface de plus en plus devant celui du matériel.
Forts de leurs succès offensifs en Russie, les généraux allemands se questionnent sur la marche à donner aux opérations pour l’année 1916. Von Falkenhayn reste sceptique quant à l’opportunité de poursuivre l’offensive sur le front oriental. La campagne précédente a démontré que la stratégie adoptée par le haut-commandement russe empêchera les forces allemandes de réussir toute manœuvre d’encerclement. De plus, il craint les effets pervers d’un engagement trop profond en Russie : les distances séparant le front de l’état-major et la déficience des moyens de communication en Russie pourraient entraîner les troupes allemandes dans une situation identique à celle de la Grande Armée napoléonienne un siècle plus tôt.
C’est donc sur le front occidental que l’armée allemande devra prendre l’initiative. Le général Falkenhayn est toutefois conscient que les méthodes qui ont assuré le succès en Russie ne peuvent mener qu’à la faillite en France. À l’ouest, le front est tenu bien plus solidement par les effectifs anglo-français, toujours plus nombreux. La France et le Royaume-Uni, grâce au crédit octroyé par les financiers américains et au contrôle des mers, ne sont pas confrontés aux problèmes d’approvisionnement que connaissent l’Empire russe et les puissances centrales. Un réseau développé de chemins de fer permet au haut-commandement français de déplacer rapidement troupes et matériel sur tous les endroits du front. Devant cet état de faits, Falkenhayn choisit d’adopter une stratégie tout à fait novatrice : au lieu de tenter une rupture sur un endroit particulier du front, il décide d’amener l’armée française au bout de ses ressources matérielles et morales. Par une suite ininterrompue d’attaques répétées, il souhaite user l’ennemi dans son ensemble alors que l’armée française compte déjà 600 000 morts dans ses rangs9.
Du côté des forces de l’Entente, la priorité devient l’organisation concertée des forces sur les deux fronts afin de fixer les troupes des puissances centrales en position. Entre les 6 et 8 décembre 1915, une conférence interalliée à Chantilly adopte le principe d’une offensive simultanée au début de l’été 1916, entreprise « avec le maximum de moyens » sur les fronts occidental, italien et russe10. Contrairement au plan allemand, le but de l’offensive est encore ici de créer une percée dans les lignes ennemies. Toutefois, les moyens, eux, seront les mêmes : l’avancée des soldats sera précédée à chaque fois d’une gigantesque préparation d’artillerie répartie sur plusieurs jours. Le nouveau credo des forces anglo-françaises est celui du général Foch : « L’artillerie « conquiert » le terrain, l’infanterie [l’]« occupe »11. » Toutefois, la coopération entre les différents alliés demeure très déficiente ; seuls les Français et les Britanniques réussissent à élaborer un plan commun. Les états-majors prévoient d’engager conjointement, autour du 1er juillet, une attaque massive sur un front de 70 km dans le secteur de la Somme. La date choisie a le double avantage d’être située à la fois dans la période où l’industrie doit fonctionner à son plein rendement et où l’armée russe doit elle aussi engager une offensive12.
Sceptique à propos de la stratégie de l’Entente, où le haut-commandement anglo-français ne semble jamais envisager la possibilité d’une offensive allemande à l’ouest, le général russe Mikhail Alekseïev prophétise que « l’adversaire n’attendra pas que Joffre ait achevé ou non sa préparation ; il attaquera dès que les conditions du climat et l’état des routes le lui permettront13. »
Leave a Comment